Critiques

Ni Dieux ni Monstres, les hommes sont-ils pires que les bêtes ?

Par Alex Moon
8 min 16 avril 2024
Ni Dieux ni Monstres, les hommes sont-ils pires que les bêtes ?
On a aimé
- Une histoire inclusive.
- Un suspense et une mise en abîme parfaitement maîtrisés
- Impossible à lâcher avant d'arriver à la fin.
On n'a pas aimé

À l'âge de 15 ans, j’ai vu le film 11:14 (onze heures quatorze) avec Patrick Swayze. À l’époque, je me souviens avoir tellement aimé que je ne cessais de l’imposer dès qu’un ami qui ne l’avait pas encore vu se présentait pour une soirée ciné. La particularité de ce film est que, prises séparément, ses scènes semblent n’avoir aucun sens. On a l’impression de regarder plusieurs films, sans comprendre ce qui relie les personnages entre eux. Et à la fin tout devient clair, on contemple la toile dans son ensemble et on réalise que, depuis le début, toutes les réponses étaient sous nos yeux. 

Ce procédé, cette façon de distiller son intrigue par petites touches subtiles, de tisser une trame bien plus vaste que ce que le lecteur ne peut imaginer, de sauter d’un personnage à un autre pour ménager son suspense, Ni Dieux ni Monstres l’emploie à la perfection. Ce roman, que l’on doit à l’auteur américain Cadwell Turnbull, est l’une des prochaines sorties du catalogue des éditions L’Atalante et plus qu’une réussite : c'est un chef d'œuvre !

 

 

L’histoire

La mort de Lincoln aurait pu rester un fait divers tristement banal aux États-Unis : Un Afro-Américain tué par un policier. Si sa sœur, Laina, supporte le deuil comme elle peut, elle doit admettre que Lincoln possédait une certaine part d’ombre : il se droguait, traînait avec les mauvaises personnes… D’ailleurs elle ne l’avait pas revu depuis plusieurs années. Alors Laina se tait et souffre en silence, car chercher à savoir ce qu’il s’est réellement passé cette nuit-là c’est prendre le risque de découvrir que son frère avait commis des actes répréhensibles et salir sa mémoire. Pourtant, il y a des choses étranges dans ce décès. Les analyses toxicologiques prouvent que Lincoln était clean, et surtout : il était nu.


Lorsque Laina se décide enfin à affronter la vérité, une mystérieuse clé USB contenant une vidéo de la nuit où son frère s’est fait tirer dessus apparaît chez elle. Elle y découvre un agent de police poursuivant un loup gigantesque qui, lorsqu’il se fait abattre, se transforme en… Lincoln ? Le monde entre alors dans une nouvelle dimension pour la jeune femme : les monstres existent et ils vivent parmi nous. Une nouvelle question fatidique remplace désormais toutes les autres : doit-elle diffuser la vidéo et révéler l’existence des métamorphes au reste de l’humanité ? C’est sans compter sur les sociétés secrètes qui masquent la vérité depuis des millénaires et qui ne comptent pas en rester là… 

L’avis d’Alex

Loin d’être le pendant littéraire de la série Grimm, Ni Dieux ni Monstres nous offre une histoire riche, complexe, extrêmement bien construite et très très loin des récits de loups-garous classiques.

Le roman est un véritable bijou quand il aborde les émotions. Les mots posés par Cadwell Turnbull lorsqu’il parle de deuil, de remords ou de traumatismes sont d’une justesse et d’une profondeur incroyables. Les sentiments sont mis à nu de façon crue, humaine. Et les monstres n’en deviennent que plus proches de cette humanité qui voudrait les ostraciser comme elle le fait des étrangers, des homosexuels, des handicapés et de tous ceux qui ne rentrent pas dans le moule d’une société normalisée. C’est là, en fond, que s’exprime le propos du récit : mettre en lumière l’altruisme et l’empathie de ces gens que le monde considère comme des rebuts.  Parler de droits civiques et d'égalité pour un peuple en proie à l'ostracisation.

Au premier plan, il y a cette lutte entre sociétés secrètes, ces créatures qui cherchent à survivre en préservant leurs secrets et ces dilemmes qui tiraillent les personnages confrontés à des bouleversements majeurs dans leurs vies. Mais pour Cadwell Turnbull, ce roman est aussi une manière de réconcilier science et magie. En intégrant la physique quantique à son univers, il donne une base solide, intelligente et crédible à toute la fantasmagorie qu’il y développe. La mythologie trouve son explication, tout comme les contes et les légendes. 

Enfin, il y a ce talent dans le tissage de la trame que j’évoquais en introduction. Ces instants où l’on s’interroge : est-ce une erreur ? une faute de traduction ? l’auteur s’est il trompé ? qui est ce narrateur qui soudain s’adresse au lecteur ? Des questions dont les réponses prennent petit à petit leur sens et qui forment une vaste toile aux ramifications complexes, mais parfaitement orchestrées. Un sens derrière le sens, un message qui donne le vertige, une prise de conscience cosmique qui remet tout en perspective : le sujet, mais aussi le lecteur lui-même.

Au moment de refermer ce livre on ne peut être que bouleversé, frappé par le talent de l’auteur pour faire cohabiter sujets, luttes et valeurs ; politique, société et fantastique, dans une œuvre parfaitement maîtrisée, qui, une fois commencée, ne peut être lâchée avant d’en avoir lu le dernier mot.

 

Ni Dieux ni Monstres est à se procurer d'urgence chez l'Atalante !

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